this is how we build a place, an aviary for today.
(+++)

Y’a le bruit de la ville tout autour de Jao. Les gens qui marchent, leurs pas qui résonnent. Les voitures qui s’arrêtent, redémarrent, les sirènes qui retentissent et s’évaporent doucement. Y’a ses pas à elle, au milieu des autres. Elle entend rien pourtant, Jao elle est dans son petit monde. Elle a ses écouteurs, et même quand la musique s’arrête elle entend plus rien autour. Elle pense pas, réfléchi à rien, elle regarde juste ses pieds, évitent ceux des autres et elle avance. Elle s’ennuyait Jao, elle en avait marre de rester chez elle. Y’a trop de monde dans cette maison, elle en deviendrait folle parfois. Elle essaye de s’occuper de tout. Elle essaye de faire attention. Mais elle sait plus comment on fait, elle veut pas savoir. Elle veut plus voir tous ces yeux posés sur elle. Elle voulait plus voir personne aujourd’hui, elle voulait rester seule pour le reste de la journée. Cette nuit elle retournera chez elle, et puis elle croisera personne, on la laissera tranquille jusqu’au lendemain matin. Elle se sentira plus oppressé pour quelques heures encore, jusqu’à demain, peut-être moins. Elle a marché pendant longtemps, elle s’est assise sur des marches et puis elle a attendue en parlant à voix hautes, comme si ses pensées pouvaient pas rester dans sa tête. Y’a des fois où Jao elle parle toute seule, elle s’rend pas compte sur le coup. C’est juste ses pensées, elles veulent pas rester coincées là-haut, alors elles s’en vont comme ça. Y’a des gens qui passaient à côté d’elle, la plupart d’entre eux ne cherchaient même pas à la voir, ils passaient s’en lever les yeux. Les autres la regardait sans comprendre, et puis y’avait ceux qu’elle connaissait, y’a un ou deux passants qui l’ont reconnus et qui se sont arrêtés. Pour être poli, pour être gentil. On lui demande si ça va, la famille, la santé et tout le reste, qu’est-ce qu’elle fait là et puis on repart en disant à la prochaine. Du coup elle en a eu marre, alors elle est repartit. Aujourd’hui Jao elle voulait rester toute seule, et puis elle a pensé à quelqu’un. Ça fait longtemps qu’elle l’a pas vu, Arden. Parce que Arden il est pas souvent là. Elle sait jamais quand il part, elle sait jamais quand il rentre. Elle sait jamais si elle va le croiser par hasard, et quand elle le voit, elle sait jamais s’il est plus proche de l’arrivée ou du départ. Mais Jao, elle s’en fout. Elle demande plus où il était, combien de temps il va rester. Elle demande pas comment c’était, ce qu’il a vu. Rien. C’est pas trop son genre de parler de tout ça, c’est ce qu’elle a cru comprendre. Elle s’demande pas même pourquoi, elle s’souvient juste de pas poser de questions et puis voilà. Alors elle regarde ses pieds et elle se dirige vers son immeuble. Souvent elle y dépose du courrier, c’est facile de connaître les adresses des gens quand on est factrice. A chaque fois elle s’dit que si la boîte se remplie c’est qu’il est pas là, et sinon c’est qu’il est là. Au bout du compte elle sait jamais, parce que la boîte est jamais remplie, qu’il soit là ou non. Encore une fois elle passe devant et y’a pas une lettre qui dépasse. Elle soupire en disant tout haut qu’on fait vraiment rien pour l’aider, qu’elle doit tout vérifier par elle-même, et puis elle monte. Elle sonne à la porte de son appartement. Elle attend. Elle est venue plusieurs fois, sonner comme ça. Au cas où. Souvent la porte reste fermée. Souvent elle attend longtemps devant, elle guette du bruit. Au cas où, encore une fois. Elle compte les secondes. Elle abandonne au bout de cinq minutes la plupart du temps. Et quand on attend comme ça de voir si une porte va s’ouvrir ou non, seule au milieu d’un couloir, c’est vraiment long, cinq minutes. Mais aujourd’hui, elle comptera pas jusqu’à trois cents. La porte s’ouvre au bout de cent-vingt secondes. « T’en a mis du temps. » Qu’elle dit s’engouffrant dans l’appartement sans attendre qu’on l’y autorise, lui tapotant sur l’épaule en guise de bonjour. « Je savais que tu s’rais là ce coup-ci, tu vois, j'le savais. Pour une fois que je fais pas le déplacement pour rien. » Elle se retourne vers lui en souriant. C'est pas un reproche, Arden, elle lui en veut pas si il est pas là. C'est sa vie, c'est comme ça. « Alors, bon voyage ? L’avion je parle. Je sais pas comment tu fais, j’en aurais marre de prendre l’avion tout le temps, mais au moins ça te fait rentrer, c’est quand même pas mal déjà. » C’est bien la seule question qu’elle pose, et elle redit quasiment mot pour mot la même chose à chaque fois qu’il revient, mais elle s’en rend pas compte. Elle sait pas si elle doit s’asseoir ou rester debout, alors elle reste plantée là, en croisant les bras. « Au fait, je te dérange pas j’espère ? » Elle pose la question un peu trop tard, mais tant pis. De toute façon elle repartira pas, pas maintenant  que la porte s’est ouverte. C’est pas elle qui la refermera, parce que Jao même si elle lui dira rien, elle est contente de le revoir, Arden. Parce que Arden, il l’embête pas, il la laisse tranquille et c’est pour ça aussi qu’elle l’aime bien.

Spoiler: