❖ Rose n'aime pas le maquillage. Elle n'aime pas les produits de beauté, les salons de coiffure, le vernis à ongle, ni les miroirs. Elle ne prend pas soin d'elle, se moque bien d'avoir les mains pleines de coup de stylo ou de pastel. Elle a les ongles rongés, de la couleur incrustée sur les doigts, et la peau sèche. Elle n'a pas de beaux vêtements, ne s'habille pas à la mode et se moque bien de porter un pull trop grand. Elle a le style des artistes qui n'en font qu'à leur tête. Les idées trop ouvertes pour se poser réellement. Un crayon dans une main, un calepin dans l'autre, il n'y a que de cette façon que Rose se sent réellement bien.
❖ On la disait bizarre, avant. En classe, Rose était la rêveuse qu'on entend jamais parler. La petite artiste en herbe qui ne se fait pas remarquer et qui, inévitablement, finira par s'effacer de toutes les mémoires. Elle passe partout sans y laisser une emprunte. Tout aussi libre que dépendante de son art, elle vit dans une bulle à part, Rose. Un monde coloré qu'elle s'est créée il y a longtemps, alors que sa mère s'en allait pour laisser un homme seul avec une gamine de sept ans. Le dessin est devenu son défouloir, son échappatoire à elle, que personne n'a jamais pu comprendre. Comme on garde un secret précieusement, elle, ce sont ses dessins qu'elle cache à la vue de tous.
❖ Elle ne parle pas beaucoup, Rose. Elle préfère écrire. Ecrire des lettres qui ne seront jamais lues, des dizaines, centaines de lettres, qu'elle rédige chaque jour à cet homme qu'elle a laissé partir il y a deux ans de cela. Elle lui écrit ses pensées, sa vie, tous les jours, sans en louper un seul. Et une fois la dernière ligne atteinte, elle la plie soigneusement, la fourre dans son sac, jusqu'au soir venu où là, elle la range dans cette boîte fermée sous son lit. Elle n'en a jamais relu une seule en deux ans. Elle ne se souvient plus de tout ce qu'elle a pu raconter à cet être à des milliers de kilomètres d'elle, qui aujourd'hui, ne doit garder d'elle qu'un vague souvenir à moitié gommé.
❖ Rose vit uniquement dans le présent. Pas dans le futur, ni le passé. Toujours le présent. Elle profite de l'instant sur le moment et une fois celui-ci terminé, elle se fait une raison. Elle ne veut pas se rattacher à des souvenirs, la dessinatrice. Elle chérit chacun des bons comme des mauvais moments passés. Mais jamais ô grand jamais elle n'ira regretter au point de se faire du mal. Elle ne retient personne tout comme elle tente de ne pas s'attacher vraiment. Parce qu'elle ne fait pas dans la démesure, désaimer, elle n'en est pas capable. Une fois qu'elle aime, Rose, c'est pour toujours.  
❖ Parlons-en, de l'amour. Rose aime de cette drôle de façon qu'elle doit être la seule à posséder. Elle aime avec des paillettes dans les yeux et des papillons dans le ventre. De cette manière muette qu'elle ne sait transmettre que sur papier, trop pudique à l'idée de se livrer. Elle prend les autres avec leurs qualités comme avec leurs défauts. Elle aime pour un jour, puis deux, puis trois, puis pour toujours. Bien incapable d'oublier réellement les sentiments qu'elle a autrefois pu ressentir.
❖ Rose se cherche encore. Perdue dans un monde trop grand pour elle, une vie qu'elle n'arrive pas à comprendre, elle cherche encore la voie qui lui est destinée. Elle ne sait pas quoi faire de sa vie, n'arrive pas à se poser. Elle tourne en rond dans sa chambre, au milieu de cet univers de petite fille qui n'a pas bougé en vingt-deux ans. Les murs imprégnés des mots qu'elle a pu y inscrire toutes ces années. Parfois, elle se pose sur son lit et se met à fixer son plafond. Sans bouger, oubliant même de respirer. Elle peut rester des heures ainsi, à attendre, un rien et un tout à la fois. A penser, puis à oublier. À somnoler, puis à s'éveiller. Elle attend que le monde se mette à tourner dans le bon sens, pour qu'elle puisse, l'espace d'un instant, s'y faufiler.  
❖ Elle voudrait voyager. Elle voudrait s'en aller, prendre un billet de train vers l'infini et voguer d'une gare à l'autre sans jamais s'arrêter. Elle voudrait partir en Europe, faire le tour de l'Asie, faire une halte en Australie puis revenir au Mexique. Elle veut voir le monde, Rose. Elle veut découvrir de nouveaux pays, dessiner de nouveaux paysages. Elle s'installe souvent sur un banc en pleine gare. Et silencieusement, la dessinatrice observe les passagers embarqués et débarqués. Elle regarde les retrouvailles et sourit quand deux amoureux se sautent dans les bras. Quand une poignée de main, une étreinte, est échangée. Elle n'attend personne, elle, mais elle reste pourtant plantée au milieu de tous ces étrangers, sans jamais se lasser.
❖ Maman avant l'heure, Rose s'occupe de son père comme si depuis toujours, c'était elle la plus âgée des deux. Elle le couve, s'occupe de lui sans cesse, prépare les repas, s'occupe du ménage, pense au café chaque matin. Parce qu'elle la voit, Rose, cette tristesse au fond de ses prunelles éteintes. Elle aperçoit cette peine qui anime ce grand homme qu'elle a toujours aimé de façon démesurée. Son père, c'est son héros, celui qui est resté et qui ne l'a jamais laissé tomber. Celui qui, malgré le chagrin d'avoir perdu la femme de sa vie, ne s'est jamais laissée démonter par le destin. Il a mis ses peines de côté pour l'élever, et ça, Rose le sait. De la reconnaissance, elle lui en destine beaucoup, veut faire pour lui tout ce qu'il a pu faire pour elle.
❖ Rose peut dessiner n'importe où, n'importe quand. Dans le métro, dans un bus, dans un parc, un café. Quand elle est triste, heureuse, en colère, amoureuse. Elle laisse ses mains guidées son esprit et se perd dans le nouvel imaginaire qu'elle se crée. Déconnectée du monde qui l'entoure, quand elle est concentrée, il est quasiment impossible de lui faire tourner la tête. Elle n'entend pas tout ce qui se passe autour, se coupe de la réalité pour n'y revenir qu'une fois son élan créatif terminé. Ce n'est pas un vrai métier, juste une passion qu'elle s'est découverte un peu par hasard. Un passe-temps comme un autre qu'elle a appris à apprivoiser sans réellement y parvenir.
❖ Elle a un tatouage sur sa cheville droite. Une rose à peine visible dont elle a oublié l'existence avec le temps. Il n'a pas de réel signification particulière, si ce n'est qu'il représente son prénom, elle en avait envie, tout simplement. Un matin, elle s'est réveillée avec cette envie idiote d'avoir un tatouage et quelques heures plus tard, elle laissait ses envies prendre vie. Le dessin n'a pas été difficile à trouver. Elle n'a pas réfléchi bien longtemps. Elle s'est souvenue des mots de son père lorsque celui-ci lui offrait une rose pour la Saint Valentin. Une rose pour une rose, qu'il disait, un sourire inscrit sur ses lèvres.

Maliblue, Sandy. faustine.   Blake Myers.