Un flash pétillant m'emporta et me garda au chaud. Une sphère de lumière, une mer de tranquillité veillait sur moi et j'avais beau entendre des voix, des sons, tout me parvenaient comme des chuchotements. Combien de temps ce sentiment de plénitude allait durer ?  Retour brutal à la réalité, comme un chute en avant sans avoir aucun moyen de pouvoir se rattraper. Mes pupilles se dilatèrent, la protection de ma chambre n'était plus. Cela voulait dire que c'était déjà l'heure de faire mon devoir ? Je faisais face à un papier peint terne et craquelé. L'inquiétude chamboula mes neurones. Deux choses me sautèrent à la gorge  : l'effluve âcre et malodorante de luxure et le picotement à l'entre-jambe qui ne voulait dire qu'une chose. Je n'avais pas besoin de baisser les yeux, un profond sentiment de dégoût envers moi-même me lacéra les veines. J'avais envie de pleurer et de vomir, mais j'en avais pas le droit.  Mon rythme cardiaque s’accéléra. L'oppression, l'alcool et la drogue offerte pour me rendre docile me retournèrent les viscères. Je ne retrouve plus mon souffle, puis... BAM !

Je perdais. J'avais eu beau lutter. J'avais perdu la notion du temps qui s'échappait comme mon sang qui roulait de mes lèvres et que je ne pouvais retenir. Mon cœur et ses battements violents se distillèrent le long mes membres meurtries, mais c'est sa voix qui me fit sortir de ma torpeur. Je quittais les sombres rivages de l'inconscience.  Je l'écoutais. Pour les hommes qui nous entouraient, je n'étais qu'un jouet, de quoi s'amuser jusqu'au petit matin, prendre pitié de l'être qu'ils avaient en leur pouvoir. Pour moi, c'était qu'un événement récurant, et malgré mon regard qui n'avait plus aucun éclat sous les abus répétés de mes assaillants, j'essayais de rester digne dans ma nudité d'enfant solaire. « Pardon ! Je n'aurais pas dû enlever mon bandeau, pardon monsieur. » Voilà, ce qui sortit de ma bouche.  La main quitta ma gorge et je retomba sur le sol comme l'être vidé de ses forces que j'étais. Je crachais à nouveau cette bille opaque et à l'odeur cuivrée. Je n'osais plus regarder l'homme qui tenait à son anonymat. Je n'osais regarder Gabriel que je savais dans un coin de la pièce, quelque part. Je devais l'avoir déçu. C'est tout ce qui me revenait, alors que j'aurais dû me soulever contre la violence, contre la position humiliante qu'on me faisait prendre sur cette table.

Mais, non ! Comme un chiot, j'avais bien été élevé. Je me pensais assez fort pour me défendre, mais je n'étais que bon pour recevoir les coups.  Je pourrais en pleurer tellement je déteste ce corps qui me trahit. « Est-ce que c'est bien, comme cela ? Est-ce que cela vous plaît ? »  Je sens ses bras autour de moi et je hurle toute la douleur du monde au fond de ma cervelle brulante. Mon corps souffre de chacune de mes nouvelles respirations. Ma colère et ma honte disparaissent et je me laisse aller. Je pars très loin, comme un long voyage, mon esprit sait où aller se réfugier. La douleur se fait de plus en plus forte et même si je la connais, mon corps ne sait toujours pas l'appréhender. Puis, je sombre dans une nuit sans rêves car comme aimait dire mon frère, je n'ai jamais su " encaisser ".

Mon prénom...Je crois qu'on appelle mon prénom...J'ai simplement ouvert les yeux à nouveau quand la voix de Gabriel me tira en avant. La lumière si agressive m'aveugla et je pris quelques instants pour prier, pour que tout soit terminé. Enfin. Je découvre avec soulagement notre salle de bain. Je m'accroche à ses bras, mon corps haletant sous ses soins, cependant mon esprit ne m'avait pas rejoint. Je remontais jusqu'à sa montre. Cette montre que j'aimais dérégler par le passé quand il venait me soigner après chaque saillit. Je joue avec les aiguilles de ce jeu qui m'appartient entièrement. J'observe Gabriel si aimant, comme si tout ce tout cela n'avait été qu'un rêve. « C'est bien. Je suis très content de toi. Ils t'ont laissés un supplément. Je suis très fier  de toi comme d'habitude. » Je levais la tête sans vraiment savoir où m'orienter, puis je retombais sous mes blessures qui me trahissaient.

La pauvre coquille que j'étais, reprenait place dans cette souffrance. Il me sèche à présent et baise mon front comme une saint à son sauveur. Je lui en remercie, trop lâche pour le mordre. « Il semblait pourtant en colère quand j'ai vu son visage.» lâchai-je entre deux ablutions. Je vois pour la première fois Gabriel sourire. « Tu en verras bien d'autre. Ne t’inquiète pas. » Pourtant c'était bien de la peur que je voyais dans son regard. Qui était cet homme ? Un riche héritier ? Un grand patron ? Un président ? Et déjà, que pouvait-il m'arriver de pire que cette vie ? Un enfant qui se prostitue pour satisfaire les ambitions d'un inconnu rencontré il y a pas plus de deux semaines. Trop lâche pour dire non. Trop lâche pour retourner dans la rue où il m'avait trouvé. Et mon plus grand crime devant l'éternel...Faire tout cela par amour pour lui.

Et, si vous me posez la question. Je viens de fêter mes quatorze-ans. Youpi ! C'était ce soir. Joyeux anniversaire à moi donc...